En souvenir de l'enfant qui ne naîtra pas...
Lettre à l'absent
Cher D.,
Je voulais te dire que je pense toujours à toi.
A notre histoire.
D'amitié d'abord... puis d'amour. (Enfin, d'amour, je ne sais plus très bien...). D'amitié amoureuse...
Je te faisais confiance. Je croyais te connaître. Depuis toutes ces années, je pensais que tu étais un ami, un vrai, un ami sûr, un ami pour toujours. Celui que je croyais connaître, sain, équilibré, gentil, tendre, prévenant,...pas celui dont j'ai aperçu le visage cynique et égoïste les derniers temps.
Et la vie nous avait rapprochés.
Nous étions bien ensemble, tu te souviens ?
Nous avons tant et tant partagé, des conversations jusqu'à pas d'heure, des éclats de rire et des plaisanteries complices, de la tendresse et des mots doux... Tu te souviens ?
Avec toi, j'ai eu le sentiment d'être réunifiée, d'exister à nouveau pleinement, de croire au bonheur et à l'avenir. J'étais joyeuse, légère, amoureuse, j'avais des ailes et la vie me semblait belle et pleine de promesses.
Nous avons vécu des moments heureux, gais, harmonieux, tranquilles... Tous les deux seuls, ou avec nos filles. Nous ne leur avions rien dit, nous avions été d'une totale discrétion, mais elles avaient tout compris, tu sais bien ! Leurs remarques nous faisaient sourire et nous jouions entre nous à les prendre pour des agents secrets. Ta fille m'appelait "chère belle-mère" en riant, quelques "papa" avaient échappés à Clara... elles nous disaient "on vous laisse les amoureux !" mortes de rire, ravies de leur astuce... nous faisions semblant de nous en offusquer, elles se moquaient de nos dénégations...
Ta fille avait réclamé que nous venions vivre chez toi. Tu avais ri... "Quoi !?! toutes les trois !!?? Anaïs aussi !!??"
Sur le moment j'avais ri aussi avec toi. J'avais déjà plaisanté avec toi au sujet du handicap d'Anaïs. Ce n'est pas tabou et l'humour n'est pas interdit ! C'est aussi une façon de conjurer les aspérités de la réalité.
Sauf que je me suis aperçue que pour toi ce n'était pas des blagues.
Je n'ai pas compris...
Je n'ai toujours pas accepté tout ce que tu m'as dit à cause d'Anaïs. Je n'ai pas compris parce que cela ne correspondait pas à ce que nous vivions, à ce que je croyais savoir de toi.
Tu m'as dit qu'avec Anaïs, tu ne pourrais jamais t'engager dans quoi que ce soit auprès de moi. Que cela rendait vaine toute implication dans notre relation. T'es-tu rendu compte de la résonance de ces paroles en moi ? de toutes leurs implications ? du mal que tu m'as fait ?
Tu ne voulais sans doute pas aliéner ta liberté à une femme aliénée par son enfant handicapée... Tu voulais pouvoir voyager, parcourir le monde, larguer les amarres... mais je ne t'en aurais pas empêché, j'aurais même voulu t'accompagner parfois...
Avec toi, j'aurais été au bout du monde... nous en avions parlé, tu te souviens, nous avions fait des plans sur la comète au Brésil, c'était notre rêve éveillé, créer un hôtel, un petit restaurant là-bas sur la plage... et les gens sont tellement tolérants, y vivre avec Anaïs aurait été facile, me disais-tu... Et puis les derniers temps, tu m'avais interrompue, arrête de parler du Brésil, c'est stupide, de toute façon, jamais tu ne pourras y aller à cause d'Anaïs. Il faudrait savoir...
Et que je sache, tu n'y as pas été, et tu n'as pas voyagé... Oh, cela devait être la liberté dans ta tête ?... mais moi je la garde la liberté dans ma tête... tu sais qu'il y a des personnes qui voyagent dans leur fauteuil roulant ?
Est-ce aussi à cause d'Anaïs que tu n'avais pas voulu révéler notre relation aux amis qui ne nous connaissaient pas ensemble ? Je croyais que nous prenions notre temps, que pour vivre heureux il faut vivre caché... que plus tard... Mais en fait, peut-être avais-tu honte de moi à cause d'elle ? d'elle et moi ? tu la rejetais tellement que tu me rejetais moi aussi avec elle ? tu ne m'aimais pas assez pour l'aimer elle aussi ? Tu ne voulais pas t'engager auprès de moi, ni auprès d'elle, tu ne voulais pas en parler ?...
Je n'ai pas compris... parce que je ne t'ai jamais demandé de devenir son père, ni celui de sa soeur, et pourtant tu as joué un rôle paternel auprès d'elles, de ton plein gré, et tu étais très bien d'ailleurs dans ce rôle, et cela n'a pas semblé te déplaire. Tu me proposais même ton aide pour accompagner Anaïs, j'ai rarement accepté, parce que justement, je ne voulais pas te faire endosser de responsabilité trop lourde.
Et puis tu m'as dit, cerise sur le gâteau, que tu ne voulais pas imposer une enfant handicapée à ta fille comme presque soeur... comme si c'était insupportable... comme si elle n'était pas capable de l'accepter, de vivre "ça", ta fille... Mais que veux-tu lui apprendre ? Et je crois que tu ne lui imposais rien du tout, elle ne rejetait pas Anaïs, Anaïs et son handicap ne la gênaient pas tant que cela, Anaïs la faisait rire... et toi aussi ! Oh, il y avait eu quelques disputes et cris entre les filles parce qu'Anaïs est parfois casse-pieds... mais tu en connais des relations humaines lisses et égales (et ennuyeuses !) ?... Tu étais le premier à dire avec moi que finalement Anaïs était la plus sage quand les autres donzelles se chamaillaient, tordaient le nez sur nos bons petits plats ou traînaient les pieds pour nous suivre en balade...
Pour un défenseur de la paix et des droits de l'homme, de la justice et de l'équité, je n'ai pas compris que tu fasses cette différence. Je les ai vite trouvées, tu vois, les limites de la tolérance et de l'engagement humanitaire...
Que je sache, Anaïs ne t'a pas dérangé pendant plus d'un an, et non plus pendant toute la période de tes patientes manoeuvres d'approche (que je n'avais pas comprises, tu te souviens ?...)... Et puis, tu la connaissais avant Anaïs, tu savais... c'est même toi qui m'a fait découvrir ce beau texte de Linda Lemay, ceux que l'on met au monde ! Quand j'y pense... Je le lis toujours de temps en temps avec émotion (et il me fait penser à toi), je croyais que tu comprenais...
Que s'est-il passé ? que s'est-il passé en toi ?...
Oh, oui, je me souviens, tu as été "réveillé" par cette amie qui nous a demandé quand nous allions révéler notre idylle... et par cette autre amie qui t'a interpellé pour savoir quand nous allions nous installer ensemble (de quoi se mêlaient-elles !?)...
Mais tu vois, je n'avais rien exigé. Je pensais que nous prenions notre temps... "qui va piano, va sano"... que nous construisions sûrement...
Notre mode de vie me convenait : un peu chez toi, un peu chez moi, le week-end, une soirée, un déjeuner, un café, un thé, des vacances... avec ou sans nos filles, et nous nous voyions très souvent, dès que c'était possible.
Je n'étais pas sûre de vouloir que nous habitions ensemble...
Ah oui, tu t'es méfié, tu étais sûr que je t'en demanderais plus un jour... tu sais que les femmes en demandent toujours plus... Et alors ? pourquoi ne pas risquer ? pourquoi ne aller aussi loin, encore plus loin ? pourquoi ne pas faire un chemin ensemble ?...
Je n'ai toujours pas compris, tu vois. Et ressasser des suppositions sans réponse, ne m'aide pas à mieux comprendre. J'ai du mal à superposer sur ton visage, sur ton image, un masque plus sombre, dur, impitoyable... Replonger dans mes souvenirs heureux avec toi, et moins heureux, m'est douloureux... et je ne sais pas encore bien exorciser le chagrin.
Je ne sais si tu penses encore à moi, à nous...
Alors je te dis "adieu"... "adieu" comme disent les gens du sud, comme au-revoir... comme adieu... comme je ne sais pas...
Figure-toi...
Photos de mariage
Hôtel la Boule d'Or - Malicorne
C'était... il y a quoi... je ne sais même plus... il faut que je calcule... 4 ans ?!
Malicorne... dans les environs du Mans.
Parce que ta grand-mère habitait là et que tu venais toujours la voir quelques jours en été avec ta fille.
Tu avais proposé d'emmener ma fille en vacances avec la tienne pour deux semaines, vous passeriez quelques jours à Malicorne, puis vous iriez au bord de la mer.
Tu m'avais proposé de vous y rejoindre le week-end. C'était gros comme une maison.
Tu avais pris des chambres à l'hôtel du coin. C'était un petit hôtel-restaurant tout simple, un peu vieillot, vraiment pas cher du tout, de toute façon ça devait être le seul. Tu étais un peu gêné... mais non ne t'inquiète pas, je ne suis pas une princesse, il est très bien cet hôtel. Nous avions dîné et papoté... j'étais bien, heureuse, détendue... Puis nous avons gagné nos chambre, il y avait deux chambres contigües... Il avait déjà fallu les attribuer. Qui allait dormir avec qui ? Les filles avaient débattu -longuement- de la question. Nous deux dans une chambre et vous deux dans l'autre !? Evidemment, nous nous étions scandalisés... vous n'y pensez pas ! Nous avions tranché, catégoriques, une chambre de filles et une de garçon. Les filles étaient tellement excitées, j'ai bien cru que nous n'arriverions jamais à les coucher... et il avait bien fallu se coucher en même temps qu'elles.
Tu es revenu plus tard me chercher, je m'étais assoupie. Tu m'as réveillée en me caressant le visage. Nous sommes allés subrepticement dans ta chambre. Il ne fallait pas réveiller les filles. C'était rigolo ce petit côté clandestin. Nous nous retrouvions comme des adolescents, sauf que nous ne nous cachions pas de nos parents mais de nos filles !
J'avais un trac terrible. C'était notre première fois tous les deux... Comment j'allais pouvoir être moi la femme non désirée... non désirable... du mari sans désir ? Comment refait-on l'amour quand on ne l'a pas fait pendant des années ? Comment passe-t-on d'amis à amants ?
Très naturellement.
Tu as été doux, prévenant, attentionné... C'était bien. Déjà tellement, tellement bien...
C'était comme si j'avais 20 ans à nouveau et découvrais l'amour... mieux vaut tard que jamais n'est ce pas ? Je n'étais tombée que sur quelques tocards...
Le lendemain, nous avons fait bien sûr comme si de rien n'était avec les filles. Nous n'allions pas leur casser le morceau, leur faire manger la feuille, comme tu disais. Pourtant, elles ont dû comprendre, finaudes, les enfants ont des antennes, c'est bien connu, ce n'était pas des antennes mais des paraboles géantes ! elles ont dû sentir notre complicité : elles nous ont appelé les amoureux. Bien sûr, nous avons nié farouchement. J'avais envie de te donner la main, de te toucher, de parler les yeux dans les yeux, de vivre d'amour et d'eau fraîche... j'attendais avec impatience la nuit qui allait venir pour que nous soyons seuls tous les deux et puissions refaire l'amour en douce ! Nous avons parlé à mots couverts et double sens toute la journée pour nous faire la "conversation amoureuse" sans alerter nos deux espionnes super perspicaces...
Belle Tera
Le livre d'Anne Brochet
Concert
Je ne sais plus exactement quand... c'était au moment où tu venais déjà très souvent me voir...
Tu m'as téléphoné... vous deviez aller voir Souchon en concert et vous vous étiez disputés ta compagne et toi. Je n'ai pas très bien compris pourquoi... un problème de garde de votre fille pour cette soirée.
Je savais déjà que c'était tendu entre elle et toi... Quant à moi et mon mari... n'en parlons pas... il y a bien longtemps que notre Bérésina était consommée... Juste la comédie qui continuait.
Il n'y avait encore rien d'autre que de l'amitié entre toi et moi, le pensais-je au moins, mais tu t'étais déjà approché de moi. Tu m'as proposé de t'accompagner à ce concert, c'était bête de perdre une place ! J'ai accepté.
Tu es venu me chercher en scooter. Je m'étais changée avant, un peu remaquillée. Je me suis dit que c'était un peu troublant de me faire belle pour toi...
C'était agréable de faire le trajet... enfin, je ne savais pas très bien comment me tenir à toi, je n'osais guère me placer tout contre toi, j'étais un peu gênée de cette intimité physique, comment me placer à une exacte distance, comment me tenir à toi pour ne pas tomber ni déséquilibrer ta moto, sans non plus me coller à toi, "m'accrocher"... Nous avions fait d'autres trajets ensemble et j'avais ressenti ce même trouble...
Le concert était super, Souchon génialissime. J'ai adoré.
Nous sommes allés boire un pot ensuite dans un café. Il était très tard. A nouveau, une intimité à gérer autour de la petite table ronde qui nous forçait à être très près l'un de l'autre. C'est compliqué à gérer parfois la proximité physique, tu sais quand heurter le genou de l'autre peut troubler, alors que le genou de "n'importe qui" ne causerait pas d'embarras. Le moment où un autre parmi d'autres bascule dans un autre bien particulier. Nous avons papoté, c'était sympa...
Nous avons avancé l'un vers l'autre, je crois ce soir là (mais quand était-ce ?).
La chanson d'Indochine "J'ai demandé à la luuuune..." est passée à la radio. J'ai interrompu ce que je te disais pour te préciser que j'aimais bien, toi aussi. Je crois que c'est ce soir là que je t'ai avoué qu'il ne se passait plus rien entre mon mari et moi depuis des années, une sorte de mariage blanc... Un aveu qui venait après tant de confidences l'un à l'autre sur nos couples respectifs, mais de là à te confier que j'étais celle qu'on ne touche plus, depuis longtemps... La femme du mari impuissant. La honte !... Pourquoi te l'ai-je dit d'ailleurs ? Te lançais-je inconsciemment un appel à candidature ??? J'aurais pu aussi me jeter dans tes bras... Au point où nous en étions de nous dire tant de choses... il fallait bien que je te donne cette ultime précision. Tu as été gentil et réconfortant. Tu as bien réagi à mon "'pavé dans la marre"... D'ailleurs qu'aurais-je pu craindre ? que tu sois choqué de ma confidence ? Tu as été sincèrement désolé, tu n'imaginais pas que nous en soyions là, si loin dans le désastre.
Et puis nous avons fini par rentrer. J'étais heureuse de t'avoir pour ami. Nous avions notre "secret" qui nous liait, comme des enfants qui s'échangent une confidence pour se prouver leur amitié.