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Itinéraire d'une amoureuse éconduite
26 mars 2007

Lettre à l'absent

Cher D.,

Je voulais te dire que je pense toujours à toi.
A notre histoire.

D'amitié d'abord... puis d'amour. (Enfin, d'amour, je ne sais plus très bien...). D'amitié amoureuse...

Je te faisais confiance. Je croyais te connaître. Depuis toutes ces années, je pensais que tu étais un ami, un vrai, un ami sûr, un ami pour toujours. Celui que je croyais connaître, sain, équilibré, gentil, tendre, prévenant,...pas celui dont j'ai aperçu le visage cynique et égoïste les derniers temps.

Et la vie nous avait rapprochés.
Nous étions bien ensemble, tu te souviens ?

Nous avons tant et tant partagé, des conversations jusqu'à pas d'heure, des éclats de rire et des plaisanteries complices, de la tendresse et des mots doux... Tu te souviens ?
Avec toi, j'ai eu le sentiment d'être réunifiée, d'exister à nouveau pleinement, de croire au bonheur et à l'avenir. J'étais joyeuse, légère, amoureuse, j'avais des ailes et la vie me semblait belle et pleine de promesses.

Nous avons vécu des moments heureux, gais, harmonieux, tranquilles... Tous les deux seuls, ou avec nos filles. Nous ne leur avions rien dit, nous avions été d'une totale discrétion, mais elles avaient tout compris, tu sais bien ! Leurs remarques nous faisaient sourire et nous jouions entre nous à les prendre pour des agents secrets. Ta fille m'appelait "chère belle-mère" en riant, quelques "papa" avaient échappés à Clara... elles nous disaient "on vous laisse les amoureux !" mortes de rire, ravies de leur astuce... nous faisions semblant de nous en offusquer, elles se moquaient de nos dénégations...

Ta fille avait réclamé que nous venions vivre chez toi. Tu avais ri... "Quoi !?! toutes les trois !!?? Anaïs aussi !!??"
Sur le moment j'avais ri aussi avec toi. J'avais déjà plaisanté avec toi au sujet du handicap d'Anaïs. Ce n'est pas tabou et l'humour n'est pas interdit ! C'est aussi une façon de conjurer les aspérités de la réalité.
Sauf que je me suis aperçue que pour toi ce n'était pas des blagues.

Je n'ai pas compris...
Je n'ai toujours pas accepté tout ce que tu m'as dit à cause d'Anaïs. Je n'ai pas compris parce que cela ne correspondait pas à ce que nous vivions, à ce que je croyais savoir de toi.

Tu m'as dit qu'avec Anaïs, tu ne pourrais jamais t'engager dans quoi que ce soit auprès de moi. Que cela rendait vaine toute implication dans notre relation. T'es-tu rendu compte de la résonance de ces paroles en moi ? de toutes leurs implications ? du mal que tu m'as fait ?

Tu ne voulais sans doute pas aliéner ta liberté à une femme aliénée par son enfant handicapée... Tu voulais pouvoir voyager, parcourir le monde, larguer les amarres... mais je ne t'en aurais pas empêché, j'aurais même voulu t'accompagner parfois...
Avec toi, j'aurais été au bout du monde... nous en avions parlé, tu te souviens, nous avions fait des plans sur la comète au Brésil, c'était notre rêve éveillé, créer un hôtel, un petit restaurant là-bas sur la plage... et les gens sont tellement tolérants, y vivre avec Anaïs aurait été facile, me disais-tu... Et puis les derniers temps, tu m'avais interrompue, arrête de parler du Brésil, c'est stupide, de toute façon, jamais tu ne pourras y aller à cause d'Anaïs. Il faudrait savoir...
Et que je sache, tu n'y as pas été, et tu n'as pas voyagé... Oh, cela devait être la liberté dans ta tête ?... mais moi je la garde la liberté dans ma tête... tu sais qu'il y a des personnes qui voyagent dans leur fauteuil roulant ?

Est-ce aussi à cause d'Anaïs que tu n'avais pas voulu révéler notre relation aux amis qui ne nous connaissaient pas ensemble ? Je croyais que nous prenions notre temps, que pour vivre heureux il faut vivre caché... que plus tard... Mais en fait, peut-être avais-tu honte de moi à cause d'elle ? d'elle et moi ? tu la rejetais tellement que tu me rejetais moi aussi avec elle ? tu ne m'aimais pas assez pour l'aimer elle aussi ? Tu ne voulais pas t'engager auprès de moi, ni auprès d'elle, tu ne voulais pas en parler ?...

Je n'ai pas compris... parce que je ne t'ai jamais demandé de devenir son père, ni celui de sa soeur, et pourtant tu as joué un rôle paternel auprès d'elles, de ton plein gré, et tu étais très bien d'ailleurs dans ce rôle, et cela n'a pas semblé te déplaire. Tu me proposais même ton aide pour accompagner Anaïs, j'ai rarement accepté, parce que justement, je ne voulais pas te faire endosser de responsabilité trop lourde.

Et puis tu m'as dit, cerise sur le gâteau, que tu ne voulais pas imposer une enfant handicapée à ta fille comme presque soeur... comme si c'était insupportable... comme si elle n'était pas capable de l'accepter, de vivre "ça", ta fille... Mais que veux-tu lui apprendre ? Et je crois que tu ne lui imposais rien du tout, elle ne rejetait pas Anaïs, Anaïs et son handicap ne la gênaient pas tant que cela, Anaïs la faisait rire... et toi aussi ! Oh, il y avait eu quelques disputes et cris entre les filles parce qu'Anaïs est parfois casse-pieds... mais tu en connais des relations humaines lisses et égales (et ennuyeuses !) ?... Tu étais le premier à dire avec moi que finalement Anaïs était la plus sage quand les autres donzelles se chamaillaient, tordaient le nez sur nos bons petits plats ou traînaient les pieds pour nous suivre en balade...

Pour un défenseur de la paix et des droits de l'homme, de la justice et de l'équité, je n'ai pas compris que tu fasses cette différence. Je les ai vite trouvées, tu vois, les limites de la tolérance et de l'engagement humanitaire...

Que je sache, Anaïs ne t'a pas dérangé pendant plus d'un an, et non plus pendant toute la période de tes patientes manoeuvres d'approche (que je n'avais pas comprises, tu te souviens ?...)... Et puis, tu la connaissais avant Anaïs, tu savais... c'est même toi qui m'a fait découvrir ce beau texte de Linda Lemay, ceux que l'on met au monde ! Quand j'y pense... Je le lis toujours de temps en temps avec émotion (et il me fait penser à toi), je croyais que tu comprenais...
Que s'est-il passé ? que s'est-il passé en toi ?...
Oh, oui, je me souviens, tu as été "réveillé" par cette amie qui nous a demandé quand nous allions révéler notre idylle... et par cette autre amie qui t'a interpellé pour savoir quand nous allions nous installer ensemble (de quoi se mêlaient-elles !?)...

Mais tu vois, je n'avais rien exigé. Je pensais que nous prenions notre temps... "qui va piano, va sano"... que nous construisions sûrement...
Notre mode de vie me convenait : un peu chez toi, un peu chez moi, le week-end, une soirée, un déjeuner, un café, un thé, des vacances... avec ou sans nos filles, et nous nous voyions très souvent, dès que c'était possible.
Je n'étais pas sûre de vouloir que nous habitions ensemble...
Ah oui, tu t'es méfié, tu étais sûr que je t'en demanderais plus un jour... tu sais que les femmes en demandent toujours plus... Et alors ? pourquoi ne pas risquer ? pourquoi ne aller aussi loin, encore plus loin ? pourquoi ne pas faire un chemin ensemble ?...

Je n'ai toujours pas compris, tu vois. Et ressasser des suppositions sans réponse, ne m'aide pas à mieux comprendre. J'ai du mal à superposer sur ton visage, sur ton image, un masque plus sombre, dur, impitoyable... Replonger dans mes souvenirs heureux avec toi, et moins heureux, m'est douloureux... et je ne sais pas encore bien exorciser le chagrin.

Je ne sais si tu penses encore à moi, à nous...

Alors je te dis "adieu"... "adieu" comme disent les gens du sud, comme au-revoir... comme adieu... comme je ne sais pas...

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